samedi 21 novembre 2009

Testament discographique


Pacific Ocean Blue by Dennis Wilson

Je me rappelle marchant le long d’Ocean Beach au nord de San Diego avec l’envie de prendre le large et de partir dans ces vagues qui en appellent à l’inconnu. Ce sont ces mêmes vagues qu’a cherché durant toute sa (courte) vie Dennis Wilson, le batteur des Beach Boys. Profitant d’un soir d’ébriété, ces dernières lui ont tendues les mains, lesquelles ne sont jamais revenues à la terre. Destin tragique pour celui qui avait signé en 1977 ce fameux Pacific Ocean Blue, album prémonitoire des événements à venir selon bien des aspects.

La pochette déjà : un visage tendu au regard mélancolique, barbu et l’air hirsute Dennis Wilson évoque plus l’image d’un hippie sur le retour que le physique athlétique du passé. Seul véritable surfer du groupe il s’est vite éloigné de l’image lisse associée à ses frères en s’accordant des escapades fréquentes avec les drogues. Remarquez, son frère Brian, génie mélodique des Beach Boys, en connaissait un rayon côté expériences cosmiques bourrées d’hallucinogènes !


Cet album j’en ai longtemps entendu parler sans jamais pourvoir l’approcher. Un fantôme introuvable qui revenait pourtant sans cesse dans les écrits directement liés à l’intéressé. Pacific Ocean Blue, beau titre énigmatique et élégant est une virée introspective chez celui qui n’avait jamais réussi à s’imposer vocalement dans la fratrie. Dennis dont le jeu de batterie limité était remplacé en studio, entrainât aussi son histoire par la porte du scandale pour avoir longuement fréquenté Charles Manson et ses sbires démoniaques.
Thoughts of You au milieu du disque résume bien l’étrange projet introspectif du monsieur : une voix susurrée, tout en brisure se parle comme à elle-même sur une variation au piano, puis les voix se mélangent jusqu’à crier « Look what we’ve done » de manière déchirante. Les qualités mélodiques sont là mais c’est plutôt la démarche intimiste qui séduit.
On est donc loin, vous l’aurez compris du style Beach Boys et c’est d’abord pour ça que l’album surprend. Dans le soin apporté aux arrangements et la qualité des textes très personnels sur la difficulté d’aimer et les amitiés perdues. Le côté intimiste de l’ensemble donne au projet de Dennis son côté bariolé dans une production minimaliste longuement travaillée à la maison. Et les chansons dans tout ça ? Que retenir ?

Il y a l’ouverture bien sur et ce River Song débuté en chœur façon poème lyrique. Très vite la voix cabossée du chanteur fait merveille : assurée sans artifices, elle semble se chercher et ne joue jamais sur l’esbroufe de la maitrise. What’s Wrong travaille d’avantage les acquis harmoniques des Beach Boys, en proposant toutefois un blues décalé et Moonshine s’élève dans un rythme lent structuré sur des accords de piano à l’épanchement manifeste. Friday Night propose une longue intro piano/guitare slide où la voix de Dennis assène du fond de la gorge avec la hargne contenue qui est la sienne : « Oh, oh it’s friday night, the white punks play tonight » rappelant l’époque où est sorti ce disque. Autre moment magique tout en équilibre et en retenue mélodique, ce fameux Time à la trompette en sourdine. You and I est plus anecdotique, mais Pacific Ocean Blue s’affirme comme une invitation à la fête avec son rythme chaloupé. Rainbows poursuit l’aventure avec banjo et chœur de rigueur. Une fête qui s’arrête avec End Of The Show, étrange moment à l’écho transperçant. La musique de Dennis s’apparente plus à un blues instable aux envolées parfois plus lumineuses mais jamais acquises comme une certitude. Only With You, s’achève telle une prière païenne sur une invitation à l’amour. Deux instrumentaux concluent ce disque étrange dont il m’a fallu plusieurs écoutes avant d’en éprouver la richesse des arrangements. Une richesse liée à la sensibilité singulière d’un artiste précieux car trop rare.

Un an plus tard il tentait de revenir en solo, encouragé par les critiques élogieuses dont il avait bénéficiées. Mais les fameuses Caribou Sessions et le projet Bambu ne virent jamais le jour de son vivant auquel rend justice cette magnifique réédition sortie l’année dernière chez Legacy. La suite est moins glorieuse pour Dennis dont l’enfoncement dans la drogue et l’alcool fut un terrain d’autodestruction irréversible. Reste ce Pacific Ocean Blue en guise de testament discographique, intense et brulant comme l’écume des vagues qui tente à chaque apparition de vous prendre dans un aller sans retour.

Benjamin Léon





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