samedi 14 novembre 2009

Inquiétante étrangeté


Thin Air by Peter Hammill


Il vient de sortir son 31° album dans l’indifférence générale. Mais peu importe au fond : la reconnaissance critique est acquise depuis fort longtemps. Peter Hammill ou la survie dans la musique…
L’album s’ouvre sur The Mercy, première plage d’un disque encore une fois insaisissable. Le connaisseur reconnaît d’emblée les suites harmoniques tout en enchainement improbable, gage d’instabilité. Quelques descentes de guitare acoustique accompagnées d’une boucle de synthé suffisent à l’ambiance étrange du lieu. Une étrangeté rattrapée par cette voix fantomatique, expression des angoisses les plus profondes. Pour le néophyte l’effet risque d’en décontenancer plus d’un. Hammill ne cesse d’utiliser sa voix comme un instrument pouvant passer des graves les plus déchirants aux aigus les plus stridents et ce dans la même mesure. Mais au-delà de la prouesse il y a cette constante fragilité : entre maitrise et rupture elle ne cesse de surprendre. Mais un chant qui peut s’avérer effroyable par moment. John Lydon des Sex Pistols n’a-t-il pas dit de Hammill qu’il était par ses rugissement et sa hargne typiquement anglaise le précurseur du mouvement Punk ?
Tout cela est loin… et en même tant très actuel. Combien de songwriters peuvent aujourd’hui faire montre d’originalité dans leur chant tout en gardant une cohérence de propos ? Bien peu, à part peut-être ce neurasthénique de Thom Yorke, certainement le chant le plus sincère qu’il nous ait été donné d’entendre ces dernières années.
Après le lyrisme tout en retenue de la première plage, Your Face on The Street s’affirme par la dissonance et une approche moins immédiate. Le piano plaque quelques accords, une guitare en brisure et un gros travail sur la résonnance des chœurs forment l’armature de cette chanson caractéristique de la Hammill’s Touch : une ligne mélodique qui se brise par les ruptures de tons et autres modulations délicates. Est-ce du free ? Du jazz ? Une pop malade et arythmique ? Difficile à classifier et de toute façon rien ne sert à étiqueter un artiste aussi singulier. Ce serait lui apporter l’opprobre et passer à côté de l’essentiel : le mystère. Stumbled erre en terrain plus convenu sur une rythmique qui en rappelle tant d’autres. Les inflexions vocales sont par contre très marquées depuis l’album Clutch par le travail d’un Bowie à moins que ce ne soit l’inverse ? Wrong Way Round, s’ouvre par une caisse claire régulière et un riff de guitare en boucle et saturation, intermède qui mène à Ghost Of Planes sans doute la pièce la plus étrange de l’album. Hammill ne chante plus vraiment, mais déclame une ambiance, une parole qu’on sent malade, très malade. Le malaise s’installe : insidieux et pénétrant. L’auditeur ne ressortira pas indemne de ce voyage introspectif.

Je suis néanmoins plus sensible aux accents très british de If We Must Part Like This qui joue sur les différents niveaux de voix jusqu’à l’incompréhensible. Hammill souffre et nous souffrons avec lui. Là est peut-être la limite de ce disque naviguant de manière ostentatoire avec les émotions les plus sombres. Mais Undone au format plus classique séduit par sa très belle mélodie piano/voix. Diminished s’étire inutilement sur la longueur mais The Top of The World Cup conclu de la plus belle manière qui soit. Un piano, une voix et ses aigus démultipliés : profond et unique comme de la glace qui se brise par surprise. Hammill n’est jamais meilleur que quand il travaille ses arrangements jusqu’à l’épure. C’est la nudité accomplie. Certes Thin Air ne changera pas grand chose dans la discographie déjà riche du monsieur, les chefs d’œuvres étant derrière lui. Mais dieu que ce parcours est beau et triste, comme la vie.

Benjamin Léon

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