dimanche 1 novembre 2009

Mélancolie contenue



You and Me by The Walkmen

Quatrième album pour ces Newyorkais inclassables et essentiels. Récit et retour sur leur dernier opus.

Les choses sont parfois injustes voir incompréhensibles : à la lecture de ces lignes, il semble évident que pour beaucoup d’entre vous The Walkmen évoque au pire un rapprochement sémantique avec l’anglicisme éponyme et au mieux un lointain groupe newyorkais apparu comme une discrète comète il y a une dizaine d’années.

Ce petit préambule permet de placer le contexte de ce groupe incroyablement méconnu dans nos chères contrées françaises. À vrai dire ce n’est pas très grave : devant le succès relatif dont ils jouissent des deux côtés de l’atlantique, les Walkmen semble utiliser cette situation à leur avantage : l’indépendance musicale, privilège assez rare pour être noté. Comparé à tort aux Strokes (plus par renouveau rock que par leur style) à leurs débuts, le groupe de Hamilton Leithauser n’a jamais bénéficié du même impact médiatique. D’où le relatif anonymat d’un groupe qui impressionne autant par la ténacité du propos (une exigence musicale cohérente) que la démarche sincère et passionnée qui semble être la leur (la voix à fleur de peau de Leithauser tout en coupure instable).

Je suis moi-même relativement novice au sein de l’univers Walkmanien. Mais un novice en voie de confirmation. Il y a moins d’un an je connaissais à peine ce groupe. Une amie québécoise de passage à Paris m’avait proposé d’aller leur rendre visite lors de leur résidence d’un soir. J’avais décliné l’invitation. Aujourd’hui encore, j’évoque ce souvenir avec un brin de frustration qui s’est nourrit rétrospectivement par l’écoute attentive des quatre albums que compte leur parcours.

Un cheminement qui demande patience car là ou d’autres groupes en « The » se donne intuitivement dès les premiers accords (avant de tomber dans les oripeaux de la stérilité calculée), The Walkmen se fait attendre. Plus complexe, plus sombre et plus imprévisible sans doute que ses confrères. La marque des grands ? Définitivement. Pourquoi cette chronique alors que l’album est sorti il y a déjà un an ? Je rappelle au passage que ce blog n’est pas au service d’une machine commerciale promotionnelle mais s’inscrit dans une démarche de coup de cœurs qui n’empêche nullement les retours dans le passé : bien au contraire.

L’impact de ce disque fut grand. Encore aujourd’hui, il m’accompagne en silence et revient à moi par bribes alors même que le disque est en pause. Sentiment étrange d’être dans un espace incertain, un entre deux mystérieux : la musique et sa puissance permettent parfois cet égarement dans l’imaginaire. Par où commencer ? Une analyse chronologique de l’album s’impose même si elle systématise du coup cette critique : pour résumer, You and Me est le plus beau, le plus intense et le plus intime album qu’il m’ait été possible d’entendre depuis très (trop ?) longtemps.

Vous allez me dire, avec ce genre d’affirmation je n’explique rien et semble marcher en terrain subjectiviste avancé : question de ressenti. Dès la première plage, Dónde Está la Playa, la batterie de Matt Barrick martèle un rythme en sourdine repris par la guitare et la basse puis arrive le chant de Leithauser : tendu, flamboyant mais tout en nuance de grâce aérienne quand il monte dans les aigus. Le son est rugueux, épais, ténébreux et sonne très vintage. La chanson se termine en enchaînant sur quelques accords de guitare où la réverb laisse s’éteindre doucement la mélodie. Déjà morte mais terriblement présente. C’est un peu ça les Walkmen : l’impression d’avoir un groupe d’aujourd’hui qui converse avec le passé.

Les influences dans l’orchestration et la voix sont là, indéniablement : l’élégance de Dylan période électrique est une évidence quand certains morceaux rappellent le maniérisme des Smiths au meilleur de leur forme. On the Water poursuit l’aventure là où guitares et chant forment l’architecture des morceaux. Le tempo est à la fois lent et rapide, il fonctionne par soubresauts qui désarçonnent plus d’une fois celui qui veut bien prendre le temps de s’immerger. On notera la qualité du jeu subtil et délicat de Paul Maroon aux guitares et aux claviers. Lesquels font leur apparition de manière somptueuse sur le très réussi In the New Year : après le premier break, Leithauser est accompagné par le son puissant de l’orgue Hammond dans sa montée dans des cimes indécises. Seven Years of Holidays développe le spleen ambiant cher au groupe sans tomber dans la facilité quand Postcards from Tiny Islands reprend de manière plus percutante un rythme soutenu ; et toujours cette voix envoûtante qui laisse perplexe d’admiration. Red Moon est plus classique en piano/voix, bien qu’une trompette lancinante accompagne le morceau de manière très classe. C’est un peu la pause avant de repartir de plus belle sur Canadian Girl et le très brumeux For Provinces. Long Time Ahead of Us s’offre comme un exercice désespéré de mélancolie contenu pour la voix de Leithauser.

À ce stade, difficile de garder les pieds sur terre pour le critique que je suis tant la qualité est infiniment supérieure à toute la production actuelle. The Blue Route nous transporte loin, très loin. Les marques de claviers analogiques développent en fond sonore une mélodie de contrepoint qui reprend le chant là où celui-ci part dans l’autre sens. L’écriture fonctionne par couches successives et dresse un univers d’une beauté incantatoire dont on ne ressort pas indemne. New Country est plus redondant, mais I Lost You relève le niveau de bien belle manière avec son refrain entêtant que ne renierai pas le U2 des débuts.

L’album se clôt après cinquante minutes d’un voyage tourmenté mais étrangement apaisant sur le très poignant if Only It Were True : une simple ballade déguisée en oraison funèbre dont l’arrêt brutal semble appeler à reprendre les choses depuis le début. Les Walkmen parlent de frustration, d’amours manqués, d’échecs, de tranches de vie et de la mort aussi. Mais surtout ils mettent cela en musique avec l’élégance et la beauté qui est la leur. Unique.

Benjamin Léon

Plus d'infos sur The Walkmen

Voir la vidéo de In the New Year

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire